Lire le Roman de la rose — Texte et Images,
par Christine McWebb

Description du projet:

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Les extraits du Roman de la rose sont destinés à être lus conjointement avec mon anthologie critique Debating the Roman de la rose: A Critical Anthology (New York: Routledge, 2007) ou ils peuvent être consultés comme un projet à part qui offre de nouvelles possibilités de recherche dans le domaine de la relation entre le texte manuscrit et ses miniatures. Le choix des extraits a été arrêté en fonction des commentaires sur le Roman de la rose inclus dans l'anthologie et qui sont décrits ci-dessous.

I. Le Roman de la rose
Le Roman de la rose, écrit par Guillaume de Lorris et Jean de Meun, est sans aucun doute une des œuvres fondatrices de la littérature médiévale française. Il serait difficile de citer une œuvre qui fut aussi populaire et aussi discutée que le Roman de la rose avec ses 300 manuscrits existants de nos jours. Cette œuvre a provoqué de nombreuses controverses, débats et recherches académiques dans le passé et continue à susciter un grand intérêt aujourd'hui.

Un rapide survol du Roman de la rose est nécessaire ici. Le Roman de la rose est constitué de deux parties fondamentalement différentes. Dans les 4000 premiers vers écrits par Guillaume de Lorris en 1236, le narrateur nous embarque dans un rêve de voyage durant lequel il tombe amoureux d'une rose, enfermée et protégée dans un jardin clos. Le protagoniste de la narration plonge le lecteur dans un océan de conventions courtoises, tandis que des forces sexuelles et séductrices se livrent une âpre bataille dans le cadre de cette vision imaginaire allégorique. Ces forces sont personnifiées par des allégories appelées Bel Accueil, Vénus, Largesse et Pitié d'une part, et leurs contreparties morales évoquées par la modestie virginale et la chasteté d'autre part, dont font partie Danger, Honte, Peur, Jalousie et Malebouche. Le bouton de la Rose, qui ne doit pas être cueilli, est protégé et défendu en tant qu'objet le plus précieux qui soit dans la hiérarchie des vertus féminines car il symbolise la virginité de la femme. De plus, Guillaume de Lorris décrit les souffrances et les désirs de l'Amant et ses efforts constants mais vains (plus particulièrement dans la deuxième partie du texte) pour conquérir le cœur et le corps de la jeune pucelle représentée par la Rose. Tous les thèmes courtois destinés à enchanter le lecteur médiéval par la magie d'un monde printanier y sont présents. Mais le texte de Lorris s'interrompt assez brusquement sur une scène où Jalousie a enfermé la Rose dans une tour afin de la protéger des avances de l'Amant. Le poème reste inachevé pendant environ 40 ans jusqu'à ce qu'en 1275, Jean de Meun, homme de lettres érudit, y ajoute 17 000 vers en déployant une rhétorique littéraire sensiblement différente.1

Avec Jean de Meun, le ton passe du courtois au philosophique, reflétant ainsi les intérêts académiques de la fin du treizième siècle. Bien que Meun continue la narration de la quête amoureuse du protagoniste, le lecteur commence maintenant à suivre difficilement le fil de l'histoire tant elle est interrompue par un flot de digressions sous forme de dissertations philosophiques. L'allégorie de l'amour courtois fait place à une bataille entre différentes allégories dont certaines aux noms évocateurs, comme Génius et Nature, furent ajoutées à l'histoire de Lorris par Meun. Au cours de leurs échanges, différents sujets sont traités tels que l'amour, l'amitié, et le caractère arbitraire du destin ainsi que plusieurs questions d'ordre politique. L'intrigue principale n'est rappelée que de temps à autre et le lecteur doit attendre la toute fin du texte pour retourner à la narration où la Rose embrasse son destin final et est déflorée : après avoir attaqué maintes fois la forteresse érigée par Jalousie, l'Amant cueille enfin le bouton de la Rose.

Le Roman de la rose garda sa popularité tout au long du quatorzième siècle et continua de jouir d'une certaine influence au début du quinzième siècle comme en atteste le Débat sur le Roman de la rose.2 Apparemment en réponse à une conversation au début de 1401 sur les mérites du poème de Jean de Meun, entre le prévôt de Lille, Jean de Montreuil, Christine de Pizan et un  clerc notable  qui n'est pas nommé, Jean de Montreuil composa le célèbre Opusculum gallicum, un traité élogieux sur le Roman de Jean de Meun, qui n'a malheureusement pas été conservé. La correspondance qui en résulta autour du Roman, œuvre très contestable aux yeux de Christine de Pizan, provoqua le premier débat épistolaire connu dans le monde littéraire français. En réponse à son détracteur, Christine envoya un contre-traité dans lequel elle critique le langage obscène utilisé par plusieurs personnages allégoriques, comme Raison, ainsi que la diffamation des femmes exprimée par la Vieille, le Mari Jaloux et Génius. A son tour Jean de Montreuil obtint le soutien de son collègue Gontier Col qui attaqua vivement Christine dans deux épîtres lui demandant ouvertement de retirer ses affirmations qui, d'après lui, constituaient une insulte à la plus grande œuvre littéraire contemporaine. Christine n'en fit rien, bien au contraire; à l'encontre des demandes de ses détracteurs elle osa rendre le débat public en publiant la correspondance qu'ils s'étaient échangés jusqu'alors (début de 1402).

Ce recueil de lettres fut envoyé à la Reine Isabeau de Bavière accompagné d'une lettre lui demandant son soutien (Christine a envoyé également une copie de son manuscrit au prévot de Paris, Guillaume de Tignonville). Cet événement notable dans le Débat déclencha de nouveaux échanges d'arguments, de menaces et de réfutations. Pourtant durant les trois années du Débat, les participants n'arrivèrent jamais à une conclusion productive tant ils s'obstinèrent dans leurs positions. Pierre-Yves Badel a appelé le Débat « un dialogue de sourds »,3 description qui résume bien la frustration engendrée par cet échange. Jean de Montreuil avait déjà décrit cette correspondance en termes de frustration et Christine elle-même fait écho à cette résignation dans sa dernière lettre à Pierre Col vers la fin de la Querelle, quand elle annonça qu'elle se retirait du débat: « Non mie tairé pour doubte de mesprendre quant a oppinion, combien que faulte d'engin et de savoir me toult biau stile, mais mieulx me plaist d'excerciter en autre matiere a ma plaisance » [Je ne me tais pas non plus par peur d'être calomniée à cause de mes opinions, bien que je manque d'intelligence et d'un beau style. Je souhaite simplement me tourner vers un sujet qui me plaît davantage.]4 Christine sentait très clairement que le Débat était une perte de temps pour quelqu'un qui avait des affaires plus importantes à traiter.5 Pourtant elle y reviendra régulièrement et d'une manière obsessionnelle dans ses écrits ultérieurs.

II. Debating the Roman de la rose: A Critical Anthology (New York : Routledge, 2007)
L'insistance de Christine ne vient pas entièrement de la force de ses convictions. Je postule qu'elle et les autres participants au Débat, ou à la Querelle comme on l'a désignée depuis la chronologie d'Arthur Piaget,6 voyaient leur échange comme un débat intellectuel continu qui existait avant eux et allant se poursuivre après 1403, bien que sous des formes d'expressions littéraires différentes. Quand on réinsère le Débat dans un cadre intellectuel plus large s'étendant au-delà des événements de 1401 à 1403, il semble parfaitement raisonnable que Christine ait continué à défendre son point de vue. Son refus de continuer à s'engager dans l'échange épistolaire augmenta son potentiel à s'exprimer sur le sujet par différents moyens littéraires comme l'avaient fait avant elle d'autres écrivains qui s'intéressaient au Roman. Mon livre, Debating the Roman de la rose: A Critical Anthology, auquel les passages cités ici font référence, replace le Roman dans son contexte plus large en se penchant sur sa réception de 1340 à 1410, élargissant ainsi le cadre de la querelle. Plus précisément, dans ce travail je fournis au lecteur et à la lectrice une image plus globale et plus complète des différentes réactions provoquées par cette œuvre, en particulier par la suite écrite par Jean de Meun, à la fin du treizième siècle, du Roman commencé par Guillaume de Lorris. En plus de rendre les textes en question accessibles à un public anglophone, mon but est de faire sortir le débat hors de ce cadre trop étroit et trompeur. Je démontre que l'échange épistolaire n'était qu'un élément, bien que crucial ou même central, d'une polémique beaucoup plus longue et beaucoup plus vaste autour de ce texte séminal du Haut Moyen-Âge. Pierre-Yves Badel l'a déjà démontré dans son histoire de la réception au quatorzième siècle du Roman de la rose puisqu'il incluait dans son travail un large éventail d'extraits destiné à un lectorat francophone. J'élargis le cadre de la discussion du Roman en re-situant ce que la critique moderne a défini comme un événement littéraire isolé et canonique, en replaçant la « Querelle » dans son environnement naturel qui inclut tous les autres commentaires importants connus sur le Roman faits par des contemporains de Christine et ses interlocuteurs.

L'anthologie commence par l'argument crucial de Pétrarque dans ses deux épîtres (1340, répété en 1366) critiquant le Roman de la rose, et se termine par les commentaires de Laurent de Premierfait sur le Roman dans son De casibus virorum illustrium (1409) et les remarques de Christine de Pizan dans son Livre de fais d'armes et de chevalerie (1410), éventail donc de soixante-dix ans. Cette anthologie critique, arrangée de manière chronologique et retraçant le commentaire diachronique et synchronique que l'œuvre de Jean de Meun provoqua, propose de reconsidérer cet important événement critique du Moyen-Âge et démontre pourquoi une telle approche est d'importance. Cependant, la signification de l'échange épistolaire ne doit pas, dans un excès de zèle, être sous-estimée et elle reçoit son juste dû, comme on peut le constater dans l'introduction de Earl Jeffrey Richards et par l'espace qui lui est dévolu dans les documents originaux et leurs traductions en anglais.

Notes

1 Il est généralement accepté aujourd'hui que Jean de Meun continua et termina le Roman de la rose entre 1269 et 1278. Sur ce sujet, voir Le Roman de la rose, ed. Félix Lecoy (Paris : Champion, 1965), vi-viii.

2J'utilise l'expression « Débat sur le Roman de la rose » dans son sens le plus large, incluant la discussion au Moyen-Âge de l'œuvre de Jean de Meun, allant de Pétrarque (1340) au De casibus virorum illustrium de Laurent de Premier fait en 1409 et jusqu'aux remarques de Christine de Pizan dans son Livre de fais d'armes et de chevalerie de 1410. Pour distinguer le débat au sens plus large du Débat proprement dit, je ferai référence au dernier soit comme « la Querelle », soit comme « le Débat. »

3Le roman de la rose au XVIe siècle. Étude de la réception de l'œuvre (Genève: Droz, 1980), 414. Traduction de Christine McWebb.

4Ch. 3.7, 188 pour l'original.

5A une date inconnue, mais de manière certaine avant le 2 octobre 1402, Pierre Col réfuta un par un tous les arguments de Christine et de Jean Gerson dans une lettre adressée à Christine (Ch. 4.6). Sa réponse à la lettre de Pierre date du 2 octobre 1402, qu'il ne recevra cependant que le 30 octobre. Pierre Col à son tour, envoya sa réaction à cette lettre à Christine. Malheureusement il ne reste qu'un fragment de cette dernière lettre qui, en conséquence, ne peut être datée.

6« Chronologie es Epistres sur le Roman de la rose, » dans Études romanes dédiées à Gaston Paris (Paris: Bouillon, 1891), 114-122.